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et des études sur le travail

Le capital en lutte: stratégies d’accumulation et résistance à la dépossession dans l’histoire du Canada (1890-1990)

14 novembre
13h30 - 15h00
J-1450

Chaîne de dépossession : la formation du capital chez la firme d’ingénierie québécoise SNC et le travail de la paysannerie en Côte d’Ivoire (1980-1990)

Sandrine Labelle

Au tournant des années 1980, l’entreprise SNC connaît une accélération de sa croissance, ce qui propulse la firme montréalaise parmi les 10 plus grandes entreprises de génie-conseil au monde. Cette ascension est d’autant plus surprenante qu’elle survient à un moment où les méga-projets ayant façonné la renommée des firmes d’ingénierie québécoises (notamment Manic V et la Baie James) s’achèvent et où le Canada traverse une récession qui freine les investissements en infrastructures. Comment expliquer alors cette expansion?

Notre enquête sur la formation du capital chez SNC nous mène en Afrique francophone, où l’entreprise décroche plusieurs de ses contrats les plus lucratifs au tournant des années 1980. Nous nous concentrons particulièrement sur la région agricole de Man, en Côte d’Ivoire. SNC y obtient un important contrat d’électrification rurale.

Notre présentation examinera l’origine des fonds servant à financer ces contrats et mettra en lumière les mécanismes d’exploitation à l’œuvre : nous montrerons comment le travail des populations locales, en particulier celui des femmes et des travailleur-euses migrant-es, est mobilisé pour générer les ressources finançant de tels projets de développement. Cette analyse permet de reconstituer une chaîne d’accumulation par dépossession, dont le point de départ est l’extraction de la richesse issue du labeur paysan en Côte d’Ivoire et dont l’aboutissement est la formation du capital chez SNC et, plus largement, au sein du Québec Inc.

Corporate Reconstruction and Resistance on the Sydney Coalfield

Don Nerbas

The establishment of the Dominion Coal Company in 1893 has long been recognized as a signal event in the history of Nova Scotia’s coal industry. Upon inception, it introduced a dramatic consolidation of the coal operators on Cape Breton Island’s Sydney coalfield, integrated coal mining with Montreal shipping and Boston utilities interests, and absorbed vast sums of capital. In the 1890s and 1900s, Dominion Coal consolidated the Sydney coalfield’s place within an industrial political economy centred on Montreal’s coal market; it thus represented the enhanced power of capital in its new vertically and horizontally integrated corporate forms.

While the political and financial engineering that gave rise to Dominion Coal have been examined by historians, the impact of this corporation upon the coal communities it sought to reorganize remains relatively understudied. The company mobilized its resources to recast the industrial geography and built environment of the coalfield, and to reconstruct mechanisms of company loyalism and deference, including the expansion of the truck system. But recourse to the police power of the state was often the most essential tool of company rule. Exploring Dominion Coal’s program of corporate reconstruction from the bottom-up and within the context of the nineteenth-century experience on the coalfield, this paper seeks to reexamine the meaning of industrial expansionism as well as the persistence of oppositional community solidarities during a well-known period of capitalist transformation.

‘Everyone has lost in the depression except the men with a bond coupon’: la dette publique, le chômage et l’accumulation par dépossession à Montréal (1920-1944)

Martin Petitclerc

Après une décennie de placements très profitables dans la dette de la métropole durant les années 1920 et 1930, les créanciers, avec l’appui du gouvernement du Québec, poussent la Ville de Montréal vers un défaut de paiement au printemps 1940. Cette stratégie force le gouvernement provincial à mettre l’administration montréalaise en tutelle afin d’éviter que le défaut de paiement de la principale ville du Canada ne réduise l’accès aux capitaux de l’ensemble des pouvoirs publics. Cette crise financière et mise en tutelle, qui touchent respectivement 10% et 30% de la population canadienne et québécoise, a été peu étudiée.

Aucune analyse n’a ainsi mis en lumière le rôle des créanciers durant la Grande dépression, et notamment leur capacité à tirer profit des besoins urgents en capitaux de Montréal pour répondre à la crise du chômage. Je me propose donc d’analyser les stratégies d’accumulation par dépossession des créanciers dans leur financement de la dette publique à Montréal. Je m’intéresserai d’abord à comprendre de quelle façon les créanciers ont pu exiger des taux d’intérêt élevés pour financer l’aide aux sans emploi, tout en résistant à divers projets de réforme fiscale visant à taxer les plus grandes fortunes. Je m’intéresserai ensuite à la lutte victorieuse de ces créanciers contre le projet élaboré par le conseiller municipal socialiste juif Joseph Schubert afin de forcer une restructuration de la dette publique, et ainsi freiner la dynamique d’accumulation par la dépossession de la classe ouvrière de Montréal. Cette victoire des créanciers a mené à la mise en tutelle de 1940 qui force l’administration municipale à prioriser le remboursement de la dette sur les dépenses de fonctionnement et d’investissement pour soutenir les services publics essentiels à la population. Enfin, une dépossession politique s’ajoute à cette dépossession économique puisque la crise de la dette est le prétexte d’une réforme antidémocratique du système électoral qui réussit à restreindre considérablement l’influence de la classe ouvrière et des locataires sur la politique municipale jusqu’aux années 1960.

Présidence :
  • Jean-Philippe Bernard

Biographies

Sandrine Labelle est candidate au doctorat en histoire à l’Université du Québec à Montréal. Ses recherches doctorales portent les relations néocoloniales entre le Québec et l’Afrique ainsi qu’à leur rôle dans l’accumulation du capital et dans la restructuration de l’État québécois à la fin du XXe siècle. Son mémoire de maîtrise, portant sur l’histoire des internationalismes féministes durant la Guerre froide, s’est mérité le prix du meilleur mémoire de l’Assemblée nationale du Québec.

Don Nerbas is Associate Professor and St. Andrew’s Society/McEuen Scholarship Foundation Chair in Canadian-Scottish Studies in the Department of History and Classical Studies at McGill University. He is author of Dominion of Capital: The Politics of Big Business and the Crisis of the Canadian Bourgeoisie, 1914-1947 (University of Toronto Press, 2013) and co-editor of two volumes, Montreal’s Square Mile: The Making and Transformation of a Colonial Metropole (with Dimitry Anastakis and Elizabeth Kirkland, University of Toronto Press, 2024), and McGill in History (with Brian Lewis and Melissa N. Shaw, McGill-Queen’s University Press, forthcoming 2025). The principal focus of his current research centres on Cape Breton Island’s political economy of coal during the long nineteenth century. His recent article « ‘Lawless Coal Miners’ and the Lingan Strike of 1882-1883: Remaking Political Order on Cape Breton’s Sydney Coalfield, » Labour/Le Travail 92 (Fall 2023) was awarded the Best Article Prize in Labour History by the Canadian Committee on Labour History in 2024.

Martin Petitclerc est professeur au département d’histoire de l’Université du Québec à Montréal et directeur du Centre d’histoire des régulations sociales. Ses recherches et publications portent principalement sur l’histoire des inégalités sociales, des mouvements sociaux et de l’État social au Québec. Il a notamment publié, avec Martin Robert, Grève et paix. Histoire des lois spéciales au Québec (Lux éditeur en 2018), ouvrage qui a obtenu le prix du meilleur livre d’histoire politique de l’Assemblée nationale du Québec. Il a aussi dirigé la production de la cyberexposition Déjouer la fatalité sur l’histoire de la pauvreté et de la marginalité au Québec : https://dejouerfatalite.uqam.ca/