Why Does Labour Matter?
The Past, Present, and Future of Labour
and Labour Studies
Strikes in History
Débrayer pour faire plier le gouvernement : regards croisés sur trois grèves illégales dans le secteur de la construction au Québec
Laurence Hamel-Roy and Martin Gallié
Cette proposition de communication porte sur trois grèves menées par les travailleur·euse·s de la construction du Québec dans les dernières décennies : (1) contre le projet de loi 142, en 1993, désassujettissant le secteur résidentiel; (2) contre le projet de loi 33, en 2011, abolissant le placement syndical et, (3) contre la dérégulation des exigences de formation pour le métier de grutier, en 2018.
Illégales au sens de la loi puisqu’elles ont été déclenchées alors que les conventions collectives étaient en vigueur, ces trois grèves ont pour point commun d’avoir été motivées par des modifications législatives ou réglementaires, dans le cas du PL 142 et du PL 33 proposées le gouvernement. La pression indue par ces mouvements de grève visait en ce sens à faire plier le gouvernement (à titre de législateur), et non les parties patronales comme il se fait traditionnellement.
En faisant dialoguer ces trois cas, l’objectif de cette présentation sera de mettre en relief les apprentissages quant aux potentialités du répertoire de la grève en matière de lutte et de résistance contre la néolibéralisation de l’État.
Comment se réapproprier l’usage de la grève dans un contexte de relations de travail de plus en plus hostile ?
Benoit Marsan
En 2015, la Cour suprême du Canada reconnaissait le droit de grève à titre de droit constitutionnel. Depuis, les gouvernements du Québec et du Canada hésitent à recourir à des lois spéciales de retour au travail. Néanmoins, les actions de l’État afin de restreindre le droit de grève des personnes salariées se poursuivent, limitant leur rapport de force face aux employeurs. En effet, depuis août 2024, le gouvernement fédéral a eu recours au Conseil canadien des relations industrielles afin de forcer le retour au travail des grévistes dans trois conflits de travail, dans l’industrie ferroviaire, dans les ports et à Poste Canada. Pour sa part, le gouvernement du Québec déposait en février 2025 le projet de loi 89 afin de limiter le droit de grève dans la province. Face à ces attaques, la riposte du mouvement syndical reste encore incertaine. Historiquement, la reconnaissance du droit de grève au Québec et au Canada s’est accompagnée d’un encadrement et d’une limitation de son exercice. Cependant, depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, il existe de nombreux exemples où le cadre légal du régime des relations de travail a été défié tant au Québec qu’au Canada. À partir de l’exemple des grèves sauvages qui se multiplient au pays dans la deuxième moitié des années 1960, cette communication propose de réfléchir à comment est-il possible pour la classe ouvrière québécoise et canadienne de se réapproprier l’usage de la grève dans un contexte de relations de travail de plus en plus hostile.
La triple personnalité gouvernementale et le droit du travail : Employeur, exécuteur et législateur
Louis Durand
Une question fondamentale me torture l’esprit et revient me hanter de façon incessante depuis maintenant quarante ans, alors que je terminais mon Baccalauréat en Relations Industrielles à l’Université Laval. Comment l’État peut gérer l’application d’une loi au niveau exécutif, procéder à sa révision au niveau législatif et tenter de la contourner en tant qu’employeur? Comment peut-on imposer des règles aux organisations privées et tenter de s’en dissocier comme organisation publique?
L’histoire du travail, c’est aussi l’histoire des lois qui le régissent au sein de la société. Certes, il y a eu des progrès considérables au cours des cinquante dernières années pour assurer un meilleur bien-être pour l’ensemble des travailleurs et travailleuses. Que l’on parle des normes minimales de travail, de la santé et de la sécurité au travail ou des nouvelles législations contre le harcèlement au travail jusqu’au nouveau droit à la déconnexion, l’ensemble de ces législations représente l’évolution d’une société quant à la protection des personnes dans un contexte de travail.
Qu’en est-il du droit à la négociation collective et du droit de grève? Le portrait des cinquante dernières années ne nous présente pas une évolution aussi claire de ces droits fondamentaux. Certes, les récentes décisions de la Cour Suprême semblent confirmer un progrès au sein de la société. Mais l’acceptation de ces décisions par les différents paliers de gouvernements et par l’ensemble de la société ne s’est jamais tout à fait confirmée. La privatisation des services et la non-syndicalisation des nouveaux secteurs industriels apparaissent comme des outils renouvelés pour contrer ce progrès juridique. Encore aujourd’hui, les différents paliers de gouvernement tentent de trouver des fissures dans les législations et les normes de l’OIT afin de proposer de nouvelles façons de cloisonner le droit de grève à l’intérieur de nouveaux paramètres.
Cette présentation aurait donc pour principal objectif de faire le bilan des interventions des différents paliers de gouvernement canadiens pour limiter et contourner l’exercice du droit de grève au cours des cinquante dernières années.
- Kathleen Durocher
Biographies
Laurence Hamel-Roy est candidate au doctorat à l’Université Concordia, où elle mène un projet d’histoire orale sur l’impact des politiques publiques de l’emploi sur les parcours professionnels et militants des travailleur·euse·s de la construction au Québec dans le tournant néolibéral. Ses travaux interrogent le rôle de la transformation des politiques publiques et de l’État dans le renouvellement des mécanismes de précarisation, de segmentation et de ségrégation des marchés du travail. Chercheuse engagée et attachée à la défense des droits du travail, elle a co-dirigé avec ses collègues du Groupe interuniversitaire et interdisciplinaire de recherche sur l’emploi, la pauvreté et la protection sociale (GIREPS) l’ouvrage La recherche engagée sur le terrain du travail précaire : réflexions méthodologiques, épistémologiques et éthiques qui est paru aux PUQ en 2024.
Martin Gallié est professeur de droit social au Département des sciences juridiques de l’UQAM. Il est membre du Groupe interuniversitaire et interdisciplinaire de recherche sur l’emploi, la pauvreté et la protection sociale (GIREPS) et de la Communauté de recherche-action sur les droits économiques et sociaux (COMRADES). Ses recherches actuelles portent sur la judiciarisation des grèves et des luttes sociales.
Benoit Marsan est détenteur d’un doctorat en histoire. Il est chargé de cours au département d’histoire de l’Université du Québec à Montréal (UQÀM) et au département de relations industrielles de l’Université du Québec en Outaouais. Il est également chercheur affilié au Centre d’histoire des régulations sociales de l’UQÀM et membre du Comité exécutif du Comité canadien sur l’histoire du travail. Il est l’auteur de plusieurs travaux sur l’histoire du chômage et des sans-travail au Québec. En 2014, il a publié le livre intitulé « Battez-vous, ne vous laissez pas affamer » ! Les communistes et la lutte des sans-emploi pendant la Grande Dépression chez M éditeur. En 2026 paraîtra son plus récent ouvrage intitulé « L’heure des pétitions est passée » : les luttes des sans-travail au Québec, 1919-1939 chez McGill-Queen’s University Press.
Louis Durand est professeur dans le domaine des relations de travail et de la gestion des ressources humaines depuis plus de trente ans à la Faculté de Gestion de l’Université Laurentienne, à Sudbury, Ontario. Bachelier en Relations Industrielles de l’Université Laval en 1985, il a par la suite complété une Maîtrise en Administration des Affaires (MBA) à l’Université de Sherbrooke en 1989. Il est régulièrement consulté par les médias francophones en Ontario et au niveau national pour commenter les conflits de travail dans les domaines public et privé. Même si l’enseignement demeure sa priorité, ses champs d’intérêt demeurent l’évolution des relations de travail et du droit du travail au Canada.